Par Me Sophie Mongeon
Avec près de 25 ans de pratique auprès de différentes victimes, que ce soit des victimes d’actes criminels, d’accidents de la route ou du travail, j’ai pu constater la situation de celles-ci évoluer sans que les lois qui les servent ne suivent. Le citoyen est confronté à une loi obsolète étant donné qu’elle ne sert plus aussi bien l’objectif pour lequel elle a initialement été adoptée. Vous pouvez alors imaginer mon bonheur quand j’ai appris qu’enfin l’année 2021 apporterait un vent de renouveau à l’égard de ces vieilles lois !
La Loi sur la santé et la sécurité au travail et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles font l’objet d’une réforme importante. Il faut comprendre que les acteurs des côtés syndicaux et patronaux représentent bien les intérêts respectifs des travailleurs et des employeurs. Mais, qui parle au nom des victimes d’actes criminels, qui sont moins nombreuses ?
Au cours des dernières années, lors des discussions entourant la modification de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, il a souvent été question de l’élargissement de la notion de proches, des actes criminels, des crimes commis à l’extérieur de la province, de l’abolition des délais de prescription pour les victimes d’abus sexuels ou de violences conjugales, etc. En revanche, je ne m’attendais pas à ce que le volet portant sur l’indemnisation ne soit pas considéré. Des personnes comprenant les systèmes d’indemnisation étaient-elles présentes à la table à dessin?
Le projet de loi n°84, portant le titre de Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement, a été déposé en décembre. J’ai pu me présenter aux côtés de Madame Lili Rochon, une victime d’abus sexuels, qui a déployé tous les efforts possibles pour avoir l’occasion de dénoncer son sort et celui des autres victimes. Cette femme brillante et persévérante a eu une enfance meublée d’abus et d’abandon. Malgré sa meilleure volonté, elle n’a pu trouver sa place sur le marché du travail. Ainsi, elle sera indemnisée au salaire minimum (1 500$/mois). Étant en état d’incapacité permanente, elle se verra reconnaître 100% d’incapacité par l’IVAC et sera encore indemnisée sur le même montant. Nous revendiquions au moins 500$ par semaine, ce qui est considéré comme un salaire adéquat pour survivre.
Cette dame s’est battue corps et âme pour avoir une voix devant cette commission afin de dénoncer les lacunes et faire avancer les droits des victimes se retrouvant dans sa position. Quelle surprise quand je lui ai annoncé que la loi, cette nouveauté tant attendue, détériorait son sort au lieu de l’améliorer. Quelle contrariété! Avec le nouveau projet de loi, une victime comme elle recevrait encore moins que le salaire minimum, elle ne recevrait rien!
Cette année, les lois administratives seront mises à l’épreuve. On ne fait que penser à l’assurance-emploi, qui voit apparaître des « nouvelles-sœurs » : la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE). Je suis, et je resterai toujours, une adepte du système administratif qui priorise l’accessibilité à la justice, considérant, par exemple, les frais de dépôt et de signification des procédures judiciaires devant les tribunaux civils lorsqu’il est temps de réclamer la reprise des prestations d’invalidité auprès des compagnies d’assurance.
Il est facile de critiquer les changements apportés quand cela fait des années que ces réformes sont attendues. Il y a déjà eu une entente entre toutes les parties politiques sur la création du Tribunal spécialisé des violences sexuelles. J’ai espoir que les parties sauront retourner à la table à dessin et que le législateur établira une loi modifiée adaptée à la réalité d’aujourd’hui et qui sert les intérêts des victimes d’actes criminels, qui leur permettrait d’avoir un revenu raisonnable afin de pouvoir nourrir leurs familles et de se concentrer sur leur rétablissement. C’est dans le titre du projet de loi, n’est-ce pas?
« La mesure d’une société se trouve dans la manière dont elle traite ses citoyens les plus faibles et les plus démunis ». Jimmy Carter (1924 )