Qui n’a jamais entendu parler d’une histoire dans laquelle un travailleur accidenté recevant des prestations de la CSST se fait prendre en flagrant délit à jouer au volleyball, effectuer des travaux sur son terrain, sortir l’épicerie ou même faire son jogging? Il arrive effectivement régulièrement que les employeurs ou la CSST aient recours à des experts en filature et surveillance quand ils ont des doutes sur la véracité des blessures ou d’une maladie d’un travailleur. La SAAQ ne fait pas exception et a elle aussi le pouvoir d’enquêter sur les victimes d’accidents de la route. Mais quelles sont les balises qui doivent être respectées et qu’en est-il du droit au respect de la vie privée prévu à la Charte québécoise?
La Cour d’appel du Québec a établit les principes applicables dans la décision Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau. Dans cette affaire, un enquêteur avait filmé le travailleur alors qu’il effectuait des activités physiques incompatibles avec son état de santé rapporté. Par exemple, l’enquêteur filma de sa voiture le travailleur en train de faire des courses en transportant une chaudière de poids moyen, qui contenait vraisemblablement du chlore de piscine. Dans une autre séquence, on voit le travailleur aller chercher son fils à la garderie et faire une course avec lui, en courant à petits pas, sur une courte distance.
Or, pour avoir le droit de surveiller un travailleur, la Cour précise que l’employeur ne peut pas simplement décider arbitrairement et au hasard d’avoir recours à la filature. L’employeur doit déjà posséder des motifs raisonnables AVANT de décider de soumettre un travailleur sous surveillance. De plus, au niveau des moyens utilisés, il faut que la mesure de surveillance, notamment la filature, soit nécessaire pour la vérification du comportement du travailleur et que, par ailleurs, elle soit menée de la façon la moins intrusive possible. Lorsque ces conditions sont réunies, l’employeur a le droit de recourir à des procédures de surveillance, qui doivent être aussi limitées que possible.
L’exécution de la surveillance doit aussi éviter des mesures qui porteraient atteinte à la dignité d’un travailleur. Un exemple d’intervention abusive est un cas où l’on s’était permis de filmer le travailleur dans la chambre à coucher de son domicile.
Et le droit au respect de la vie privée dans tout cela? La Commission des droits de la personne du Québec a publié un document intitulé « Filature et surveillance des salariés absents pour raison de santé: conformité à la Charte » sur le sujet. Dans cette avis, on rappelle qu’un salarié est en droit de s’attendre raisonnablement à ne pas être soumis à une filature et à de la surveillance. Évidemment, de telles pratiques entrent a priori en conflit avec le droit au respect de la vie privée. Cependant, ce droit n’est pas absolu et peut être sujet à des restrictions qui se justifient du point de vue de l’article 9.1 de la Charte québécoise.
Les principes discutés ci-haut sont également repris dans le Manuel des directives-Indemnisation des dommages corporels de la SAAQ au chapitre de la compétence de la Société-Les enquêtes.
Bref, tant au niveau de la CSST que de la SAAQ, la surveillance peut être admise si elle est basée sur des motifs rationnels et opérée par des moyens raisonnables.
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