Il y avait matière à réjouissances le mois dernier ! Non pas en raison de la nouvelle année, mais bien pour une initiative de nos élues ! Nous étions très contents d’apprendre que la ministre de la Justice du Québec, Sonia LeBel, et ses trois collègues de l’opposition œuvraient de concert pour l’établissement d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et conjugale. Mais attention! Une telle nouveauté exige réflexion, ce qu’elles entendent faire heureusement. Quels sont donc les avantages et les défis auxquels seront confrontés nos députées ?
À demander l’avis d’une avocate de plus de 20 ans d’expérience devant les tribunaux administratifs, je leur dirais, en premier, qu’il s’agit d’une idée géniale pouvant contribuer à redonner confiance aux victimes en l’administration de la justice : l’accent est mis sur la compréhension de la situation des victimes et l’accessibilité. En effet, un tribunal administratif a l’avantage de pouvoir se spécialiser dans un domaine particulier, en l’occurrence les crimes sexuels, et ainsi développer une expertise scientifique et juridique que nous ne retrouvons pas, ou peu, devant les tribunaux de droit commun (Cour du Québec et Cour supérieure), qui entendent, pour l’heure, ces cas complexes. Considérant cette spécialisation, un tribunal administratif développe une aisance et une connaissance de la loi applicable, des moyens de preuve et des enjeux pour un meilleur soutien des victimes. Il est, de plus, généralement plus facile et plus rapide d’obtenir une audience devant ce type de tribunal puisqu’il traite uniquement de cas relevant d’une même loi ou d’un même type de cas.
La compréhension du domaine des crimes sexuels et ses enjeux multiples exigera du futur tribunal une concertation régulière des experts, des victimes et des intervenants de ce milieu. C’est pourquoi, ces mêmes acteurs sont invités à collaborer et à s’exprimer dans le processus de création du tribunal spécialisé. L’objectif est de parvenir à une solution favorable et qui accélérerait le fonctionnement du système judiciaire pour les victimes de violences sexuelles et conjugales.
Toutefois, du côté administratif et procédural, une réflexion s’impose. C’est bien que les victimes soient entendues et reconnues en justice, mais qu’en est-il de l’indemnisation ? On se rappelle que la Loi sur les accidents du travail qui régit le barème d’indemnisation de l’IVAC pour les victimes d’actes criminels date, dans ses premières dispositions, de 1964. La loi a bien été modifiée légèrement mais cela date tout de même de plus de 55 ans ! Une réforme majeure doit être donc aussi être entreprise.
Il est bien beau de donner une accessibilité à la justice pour les victimes, mais lorsqu’il est temps de nourrir et de mettre du pain et du beurre sur la table, les victimes se voient confrontées à des lois dont les dispositions principales n’ont pas été modifiées depuis les années 1979-80. Aberrance, dites-vous ? Absolument ! Les termes qui y sont évoqués sont bien souvent incompréhensibles, même pour les plus aguerris et expérimentés des plaideurs : ITT, IRT, stabilisation économique, stabilisation sociale, IPP… Ce sont des acronymes sans aucune signification pour la majorité des victimes, qui se trouvent, en plus, dans une position précaire exigeant souvent le soutien de l’Aide juridique elle-même débordée.
Un autre défi attend l’imminent tribunal spécialisé en crimes sexuels, soit celui des délais et du maintien de son accessibilité. Bien qu’un tel tribunal soit créé dans l’optique de désengorger les tribunaux de droit commun et ainsi favoriser l’audition rapide des victimes et des accusés, force est de constater, qu’à long terme, le manque de ressources (juges spécialisés et experts-conseil) ralentit le processus et retarde les audiences. En comparaison, cela prend désormais 27 mois suivant l’acte introductif pour être entendu devant le Tribunal administratif du Québec. L’exigence de preuve et le traitement procédural de celle-ci s’apparente aussi de plus en plus à un tribunal de droit commun alors que l’objectif initial était une fournir un cadre allégé et compréhensible aux citoyens désirant se faire entendre. La pérennité et raison d’être du tribunal spécialisé en crimes sexuels va donc dépendre, à mon sens, de sa capacité à faire face à ces pièges du temps.
Alors, bien que nous soyons plus que ravis de ces propositions de Madame la ministre LeBel, il faut, en même temps, pendant la période de consultations publiques, soulever ces enjeux afin que soit mise en place le meilleur encadrement juridique et administratif possible pour les victimes.
Mais, pour conclure, le plus beau et plus important : toutes les démarches de sensibilisation entreprises par l’AFPAD et ses partenaires au fil des ans auront porté fruit. On peut aujourd’hui enfin espérer une avancée dans la cause des victimes d’actes criminels et on les en félicite. On pourra peut-être désormais penser à rebâtir les ponts entre les victimes de crimes sexuels dont les plaintes sont (trop) souvent mises de côté et le système de justice. Le Québec n’a que trop d’exemples suivant lesquels les citoyens et justiciables ont perdu confiance : affaire Guy Turcotte, affaire Gilbert Rozon, etc. L’annonce des quatre députées arrive donc à point et permettra, je l’espère, de partir sur de nouvelles résolutions et fondations pour 2019 ! Les témoignages des victimes doivent pouvoir être entendus à leur juste valeur tout en conservant les acquis et protections constitutionnels octroyés par la Charte canadienne.
L’information contenue dans cette infolettre peut être de nature juridique, mais ne constitue pas un avis juridique.